Thursday, August 30, 2007

25.07 - 31.08.07

Il y a des choses qui paraissent aller de soi... mais non. Vu dans le train Kuala Lumpur - Singapour.


Singapour n’est pas une ville. C’est une caricature, une parodie. Un putain de cauchemar.
Singapour est ce qui arrive quand beaucoup trop d’argent est concentré en un seul endroit. Le stade ultime du capitalisme totalitaire, une vision du futur. Un futur si aseptisé que jeter une cigarette par terre est un délit sérieux. Un futur où toute deviance, tout risque, de quelque nature et aussi minime qu‘il soit, doit être traqué et banni.

Je pensais arriver en basse-saison et n'y passer que deux ou trois jours, mais il y a longtemps que les saisons n’ont plus aucune importance sur la planète Singapour. L’auberge pour backpackers où je pensais atterrir affiche complet, les trois autres de la rue aussi (à moins de dormir en dortoir, mais franchement…). Je finis par dégotter un motel pour voyageurs de commerce chinois où je paie cher un couloir d'1m50 de large sans fenètre.

La cellule du bonheur. Au bout de 5 minutes je rêve de faire le mur.

Pas question de passer quatre jours là-dedans. Je dois quand même pouvoir trouver mieux, et me met immédiatement en chasse. C’est effarant: tous les hôtels sont complets, depuis la pension indienne jusqu’au méga-complexe pour groupes japonais. Je marche des kilomètres, en m’éloignant du centre, et finis à la tombée de la nuit et mort de fatigue à dégotter pour une petite fortune une chambre malodorante à l’hygiène douteuse en périphérie de Little India. Mais au moins je peux déballer mon sac et me retourner.

Dans le métro ultra-moderne et rutilant, des messages enregistrés dans toutes les langues rappellent en permanence que tout sac abandonné doit être immédiatement signalé et sera détruit. Bien en vue, des caméras filment chaque mètre carré. Sur les quais, des écrans vidéos passent en boucle des vidéos appellent les citoyens a faire preuve de vigilance et à signaler tout comportement suspect aux patrouilles de gardes. Les quais sont séparés des voies par des parois transparente. Quand le métro arrive et s’est arrêté, il s’écoule 5 secondes avant que ses portes s’ouvrent automatiquement, puis encore 5 secondes avant que les portes du quai ne s’ouvrent. Dans les wagons, les publicités vendent des cartes de crédit et des business school du soir; sur les vitres sont affichés les montants (en centaines de dollars) des amendes pour manger ou boire dans le train, mettre les pieds sur le siège, jeter quelque chose par terre, etc, et rappellent que tout est filmé. Beaucoup de stations débouchent au cœur de centres commerciaux énormes, comme le Raffles Mall, dans lesquels on se perd en cherchant la sortie.

L’inévitable place de cricket centrale. Comparer avec celle de Kuala Lumpur: les tours en arrière-plan sont nettement plus hautes. KL passe d'ailleurs deuxième à mon classement des villes sud-asiatiques les plus merdiques.

Singapour est aussi clairement en tête de la course que se livrent toutes les capitales asiatiques pour ressembler le plus vite possible à Hong Kong.

Il n’y a rien à faire à Singapour que gagner de l’argent, et le dépenser. L’activité principale est donc le shopping, ou plutôt le lèche-vitrine, le long de l’avenue principale, Orchard Road. Evidemment, pas question de copies ni de piratage ici. Je ne savais pas qu’il existait autant de marques de luxe, de prêt-à-porter, de sous-vêtements, de parfums, de bijoux, de montres, qui toutes, à ce qu’on pourrait croire, utilisent les mêmes deux ou trois photographes et les mêmes mannequins. Tout est effroyablement cher, au moins autant qu'en Europe.

Authentique: on ne trouve pas de chewing-gums à Singapour, ils sont interdits a la vente, afin que personne ne s’avise d’en jeter un seul par terre.

Si Singapour a eu une âme un jour, ce qui est certain, il y a longtemps qu’elle est morte et que ne reste qu’un cadavre plastifié, désinfecté, repeint et verni. Une enveloppe vide.
La vie a été définitivement exclue de Singapour - beaucoup trop salissante, nauséabonde, antihygiénique. Le fric a pris sa place. Au milieu des années 80, le marché flottant et ses centaines de barques a été supprimé pour des motifs de salubrité publique. Les milliers de personnes qui vivaient au bord du fleuve ont été chassées comme de la vermine, leurs maisons transformées en restaurants, bars, appartements de standing. Le dernier quai a avoir été «nettoyé» vient d’«ouvrir», comme on ouvre un parc d’attraction ou une grand magasin. On y trouve des bars au design épuré - tous les bars de Singapour sont design - des restaurants chics à thème, des boîtes hype pour golden boys et bling-bling girls. Mais Singapour a franchi une nouvelle étape en recouvrant carrément tout le quartier de gigantesques structures en forme de parapluie, un énorme chapiteau de métal et de plastique qui recouvre les immeubles et remplace le ciel. On a l’impression d’être dans une bulle, sur une autre planète, dans une cité-hologramme sur Mars, où il ne pleut jamais et où même l’air est artificiel.



Alors que je fais un tour en bateau sur le port au crépuscule, je tombe sur un spectacle incroyable - des dizaines de grosses sphères lumineuses pourvues de filaments, comme des immenses méduses aériennes, qui avancent de concert... en fait des ballons-sondes reliés à des hors-bords. il s'agissait sans doute de la répétition d'un show pour la fête nationale. Suis aussi tombé sur le clip patriotique d'une Lara Fabian locale qui hurlait son amour pour Singapour - je pense qu'en effet se convaincre qu'on y vit au paradis et non en enfer requiert un violent effort d'auto-persuasion.

Singapour est peut-être la seule preuve convaincante sur Terre que l’argent ne fait pas forcément le bonheur. Même blindé de fric, je ne voudrais pas vivre dans ce cauchemar aseptisé.
En fait je ne suis ici que pour prendre l'avion pour Bali, où je dois retrouver Nat le 28. Mauvaise idée. Tous les vols sont complets, pour les 5 prochains jours au moins. Le ciel me tombe sur la tête. Traverser toute l'Indonésie en train et/ou en bus n'est pas une option. La fille de l'agence de voyage me refile l'adresse web de la compagnie low-cost locale en me conseillant en désespoir de cause d'y jeter un oeil moi-même. Je me rue dans le premier cybercafé - tous les vols affichent sold-out sauf un, dimanche 1er août. Pas le choix, je le prend avant qu'il ne me passe sous le nez. Me voilà coincé ici une bonne semaine, et Nat ne prend pas très bien la chose, ce qui est ma foi compréhensible.

Au bout de quatre jours, par pur désespoir, je tente d’aller tromper l’ennui sur l’île-parc d’attraction de Mendosa. Un monorail me dépose devant les arcs de cercles parfaitement concentriques des plages artificielles, délimitées par des faux rochers de béton peint. Une succursale du Café del Mar d’Ibiza diffuse de la house d’ascenseur. Je me pose sur un transat signé Starck pour profiter du soleil qui fait sa première (et dernière) apparition. Un télésiège conduit au sommet d'une colline. Le long de la file, au moins 5 panneaux consécutifs mettent en garde qu'attention, les siège ne s’arrêtent pas (ciel), des shemas expliquent comment se positionner et s’asseoir, puis un écran diffuse une vidéo qui fait de même. Arrrivé à l’épreuve de l’embarquement, trois types sont là pour m’assister et ralentir le siège, il y a un point par terre qui m’indique où je dois me positionner, et un point sur le siège là où je dois poser mon cul. Hilarant, ou effarant. Cette obsession sécuritaire infantilisante, l’autre facette du contrôle total de l’individu par Big Brother (une main qui punit, une main qui protège), atteint ici des somment d’absurde, comme tout le reste d‘ailleurs.

Je finis à Underwaterworld. Le clou en est un tunnel transparent sous-marin qui serpente à travers plusieurs énormes bassins.


Ce poisson doit faire au moins trois mètres, sans doute davantage. Je ne savais même pas qu'il existait des poissons aussi énormes.

Ce sympathique carnassier m'a accompagné un bon moment, me fixant de son oeil taquin.

Suis assez content qu'il y ait une vitre entre eux et moi.

Un dugong (ou un lamantin, je ne sais plus), adorable grosse vache de mer qui broute paisiblement. Dans un autre bassin que le précédent, évidemment.

L'heure de la bouffe: caché au milieu de la mêlée, un plongeur.

Il n'y a pas beaucoup d'animaux plus simples que les méduses, mais il n'y en a pas non plus beaucoup de plus beaux.



Les sirènes du port de Singapour ne chantent qu’une seule mélodie, l’hymne du fric triomphant.



On dit que Singapour est la Suisse de l’Asie, c’est faux - à côté de Singapour, la Suisse est un joyeux foutoir anarcho-libertaire et communiste, et je ne crois pas qu'elle puisse un jour espérer rivaliser, surtout avec sa future composition éthnique - et tant mieux.


Au bord du nervous breakdown je tente l'excursion a la Villa Haw Par, construite par l’entrepreneur chinois Aw Boon Haw, richissime inventeur du Baume du Tigre, pour son frère Boon Par. Grands communicateurs avant la lettre, les frères avaient le sens de la pub: leurs voitures étaient peintes de rayures jaunes et noires avec une grande tête de tigre rugissante à l’avant, et en en 1937 , Haw décida de transformer sa propriété en une sorte de parc d’attraction basé sur les légendes et la mythologie chinoise en la remplissant des centaines de sculptures quasi grandeur nature. Le résultat est sans doute l’endroit le plus surréaliste que j’ai jamais vu, une sorte version asiatique du jardin du Facteur Cheval, un délire multicolore totalement psychédélique et plus qu'étrange. Le point fort en est sans conteste la représentation ultra sanguinolante, dans un tunnel creusé dans une montagne artificiel, de l’enfer selon la vision chinoise. Passé la porte gardée par deux divinités monstrueuses, on voit les morts (qui n'en mènent pas large, vu ce qui les attend) jugés par un vieux barbichus à l’air peu commode, et les pêcheurs (soit 99,99 du total, à mon avis, au vu de la liste des actes considérés comme des pêchés) sont ensuite envoyés dans les dix cercles correspondant à leurs vices et à leurs actes terrestres. Suit une série de scènes de tortures aussi effroyables que diverses, où on reconnaît bien la créativité asiatique. Brûlés vifs par des démons grimaçants, étripés, écartelés, broyés, dévorés par des chiens, empalés, et évidemment bien incapables de mourir puisque déja morts. Ouille.

Jetés dans de lave en fusion: aïe!

Attachés à une chaudière rougeoyante: ouch!

Découpés en morceaux: argh!

J’imagine bien les générations de petits Chinois de Singapour que leurs parents ont amenés ici pour leur montrer ce qui leur arriverait s’ils ne faisaient pas leurs devoirs et qui en sont ressortis traumatisés à vie…

Mais finalement la vision chinoise de l'enfer est malgré tout moins cruelle que la chrétienne, puisqu'ici pas question de damnation éternelle (qui est vraiment très longue, surtout vers la fin, comme l'a dit Woody Allen): après en avoir bien bavés, les morts sont renvoyés pour un tour sur terre, leurs souvenirs effacés.

Le reste du parc n’est pas piqué des vers non plus. Certaines scènes représentent des légendes taoïstes assez compliquées où un moine héroïque accompagné de son cheval magique et de son singe-valet affrontent des sœurs maléfiques et transformistes, des dragons et divers démons pour récupérer je ne sais plus quel livre sacré.

D’autres sont tellement barrées qu’on se demande vraiment ce que prenaient ces Chinois allumés: ici une scène bien sanglante de la guerre des lapins blancs, des rats et des hamsters, apparemment. Apprécier le rat égorgé et amputé au premier plan…

Heureusement les sauveteurs ne sont pas loin. Ouf, la morale est sauve. Allons mon gars, un coup de Baume du Tigre et il n’y paraîtra plus.

Ici, euh… une tortue cornue… et un crapaud à casquette… à dos d’autruche???

Scène de la vie quotidienne d'un couple de cerfs gay et modernes.

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